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Le retour du Mickey refoulé

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Il y a deux manières de cacher quelque chose, soit vous l’enlevez de la vue, soit vous la laissez en pleine lumière suffisamment longtemps. Notre esprit oblitère autant ce qui est absent que ce qui est chaque jour sous vos yeux.

Oui, bon…

Donc, c’est bizarre… Vous m’auriez demandé de vous citer les bandes dessinées qui ont marqué mon enfance, qui ont une importance pour moi, qui ont eu un effet ou un autre sur la conformation actuelle de mon esprit, j’aurais cité des tas de choses, comme les leçons de morale (et de matérialisme) de Rahan, les fous rires parfois mélancoliques de Gaston, Valerian, Gotlib et ces jeux de mots foireux, l’impossible et traumatique supplément à Spirou “Le trombone illustré“, et tant d’autres…

Rahan, épisode "Le monstre d'un autre temps" Lécureux et Chéret 1978

Ha, oui, souvenir très ancien, les très vieilles bandes dans de vieux journaux sous l’évier de la buanderie de chez mes grands-parents maternels… Mon incapacité à comprendre la plupart des gags… perplexité ! Et les albums d’Asterix qu’achetait mon père pour lui et que j’ai détruits à force de relecture…

Popeye Vol. 5: "Wha's a Jeep?" by E.C. Segar - detail

E.C. Segar, Popeye "Wha's a Jeep?" chez Fantagraphics

J’en citerais des chapelets ! Même Popeye, tient ! je répète toujours cette anecdote qu’il m’aura fallu plus de dix ans avant de comprendre ce qu’étaient ces gros sandwichs que s’enfilait Gontran en masse… Il aura juste fallu attendre que McDo tente d’envahir la France… Mais ça m’intriguait tant que je m’en souviens.

Etc.

J’en citerais !

Mais.

Jamais, oui, jamais il ne me serait venu à l’esprit de citer un truc de Disney. Jamais !

Et en arrivant ici, sur CV, en lisant André Gunthert, et l’épisode de la recherche du poulpe perdu… (Private joke. Un de temps et temps, on a bien le droit !).

Et un copain dessinateur, Sébastien Chrisostome, qui me dit de chercher les bandes contemporaines de Don Rosa, qui relisent l’époque de Carl Barks…

Et Tezuka, dont je tombe littéralement amoureux et qui ne jure que par Disney… pour l’envie de tout faire, le dessinateur, le réalisateur, l’entrepreneur… car pour l’esthétique des BDs, sans connaitre son nom je suppose, il était originellement surtout proche du Floyd Gottfredson des années 40…

"The Moook Treasure", Floyd Gottfredson 1950

Et ces éditions patrimoniales actuelles, que j’achète parcimonieusement, car ruineuses, mais qui m’apportent un vrai plaisir de lecture à géométrie variable ! Découverte, redécouverte, lecture esthétique, lecture historique et pur plaisir de la fantaisie !

"L'âge d'or de Mickey Mouse 1" & "La Dynastie Donald Duck 1" chez Glénat

Oui, aujourd’hui, il se passe bien quelque chose pour moi, quelque chose dans une zone obscure de ma psyché :

Le retour du refoulé, le continent perdu, L’évidence occultée, l’éléphant dans le couloir…

C’est vrai, je n’aurais pas cité une bande de Disney dans une conversation sur la bande dessinée… Et pourtant, si je fais un petit effort de mémoire, qu’est-ce que j’ai le plus lu ? Qu’est-ce que j’ai lu en quantité industrielle ? Et pas qu’en bande dessinée, parce que brusquement resurgit une collection d’albums illustrés, de contes et de vulgarisation scientifique, de reportages animaliers et enfin, et surtout, les « manuels du Castor junior », ces purs fantasmes enfantins que j’ai désirés si longtemps avant de les obtenir !

Que s’était-il passé pour que je ne voie plus cette « montagne Disney » qui a toujours été là, sous mon nez ?

Était-elle honteuse ? Ou simplement était-elle si massive, si présente qu’elle en arrivait à composer une part trop importante de mon imaginaire, si importante que je n’avais plus aucun point de vu dessus ? Puisque c’était d’elle que je regardais le reste ?

Je suis pourtant de ces générations colonisées par Disney. Comment en étais-je venu à porter ce regard méprisant sur les films ? Comment en étais-je arrivé à ce que mon esprit considère que « Disney, ce n’est pas de la bande dessinée » ? J’avais classé ça dans le rayon « productions industrielles, donc standardisées… » À cause de quoi ? De cette signature unique, plus « marque » que véritablement trace d’une singularité d’auteur… Peut-être… À cause d’un préjugé culturel, donc. L’oblitération venait tout autant d’une trop grande promiscuité que de ce mépris qu’on finit par avoir pour ce qui nous est donné en quantité.

Bien sûr, Disney « ce n’est pas de la bande dessinée », ou plutôt ce n’est pas que ça. Et pas seulement un producteur de films. C’est un phénomène infiniment plus large, unique,  qui a influencé un siècle entier, imprégnant les esprits plus profondément que Freud et Marx réunis. Disney, c’est ce que nous avons en commun, nous, tous, enfants du XXe siècle, et maintenant tout autant…

Et donc, il n’apparaissait nulle part dans certaines catégories « culturelles » de mon cerveau…

Et pourtant combien de BDs signés de l’auteur industriel ais-je pu lire ? Une infinité. Eh oui, du Disney, il y en avait partout, quelle que soit la chambre d’enfant dans laquelle j’ai pu entrer, de copains d’école, de cousins ou au hasard d’un apéro de grande personne, il y avait du Disney. Et la manne semblait inépuisable. Contrairement aux albums de Tintin ou Lucky Luke, ou encore des Stroumpfs ou d’Alix, que vous épuisez un jour, vous trouverez toujours une nouvelle histoire signée Disney. Un chapelet infini !

Avec cette capacité de réactualisation de l’enfance, tout ce que vous lisez à un instant T est de votre époque, de l’instant même de votre lecture. Pas de lecture historique. Pas de conscience que vous êtes sur une veine qui a plus de 40, 50… maintenant 82 ans (début de Mickey en BD : 13 janvier 1930). Alors, sans se poser de question, on ouvre un nouveau « Journal de Mickey » (parfois en gros albums reliés ! Ha ! La quantité, encore !), ou « Picsou Géant », ou « Mickey Parade », et encore des aventures, encore et encore !

Alors maintenant ? Maintenant, on range les choses à leur place, les bandes Disney sont donc priées de rejoindre la cohorte des histoires dessinées qui ont nourri mon petit cerveau si impressionnable. Un gros chainon ne manque plus et tout s’articule enfin, et l’Histoire d’une fiction mondialisée retrouve ses légitimes artisans !

P.-S. Certaines illustrations ont été judicieusement choisies… (Comprends qui peut, comme dirait Boby !)

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